La typographie choisie pour annoncer le troisième Congrès international de femmes pour la paix et la liberté évoque l’alphabet grecque classique. De fait, l’image centrale représente, plutôt qu’une femme réelle, une statue allégorique aux proportions parfaites, inspirées de l’Antiquité. Nue comme la Vérité, cette figure de profil se tourne vers la gauche, espace des événements passés qu’elle repousse de sa main levée. Sur sa main gauche se tient une colombe portant dans son bec un rameau d’olivier, symbole de paix.
Le style que Steinlen a développé pendant le conflit se reconnaît aisément dans Guerre à la Guerre !, affiche où le crayonné s’impose sur un à-plat bleu dans la partie supérieure. Au premier plan, un homme qui dresse la tête face à la Mort étreint sa famille. Les fillettes sont blotties contre leur mère, les hachures grisées gomment leur appartenance sociale et laissent juste apparaître les visages innocents des enfants et la tristesse impénétrable de la figure maternelle. La taille des mains du père et les muscles saillants de son cou traduisent sa force, mais aussi sa tension face à cet adversaire tenace, couronné de lauriers. Le squelette à la faux sort d’une nuée qui évoque la fumée des explosions de la guerre de tranchées, dans un paysage dénudé.
L’internationale des pacifistes
Les femmes, qui ont largement contribué à l’effort de guerre, et pas seulement en tant qu’infirmières, peinent après le conflit à se voir reconnaître un rôle social renouvelé. Pourtant, rares sont les nations européennes – France, Yougoslavie, … – qui n’ont pas encore accordé le droit de vote aux femmes. Poursuivant une politique hostile à tout mouvement internationaliste, les autorités françaises refusent ainsi « patriotiquement » de laisser entrer sur le territoire national les déléguées allemandes au deuxième Congrès de la Ligue, d’où sa tenue à Zurich. Le troisième Congrès s’inscrit dans le nouveau mouvement international porté par les « quatorze points » du président américain Wilson (désarmement, droits des peuples y compris coloniaux) et vise à refonder les principes de vie en commun. Les déléguées de la Ligue partagent une même foi en l’éducation, en l’élaboration d’une langue internationale commune, et ont pour projet de purger les manuels scolaires de tout militarisme. Elles revendiquent le droit à exprimer en tant que femmes leur pacifisme, différent de celui des anciens combattants.
Sur le territoire neutre de la Suisse, à Zimmerwald (1915) puis à Kienthal (1916), seule une mince frange de révolutionnaires pacifistes s’est insurgée contre la guerre, avec à leur tête Lénine et Trotski. Cette ligne de fracture se retrouve dans l’Europe en reconstruction. Réformiste, la F.S.I., qui compte 22 millions d’adhérents en 1920, refuse d’adhérer au Profintern, équivalent syndical du Komintern, proposé en 1921 aux syndicats européens par les bolcheviks russes. Cela n’empêche pas la « Fédération d’Amsterdam » à laquelle adhèrent de nombreux anciens combattants de promouvoir un pacifisme sans concessions et de tenter de mettre en œuvre une autre mobilisation culturelle, contre la guerre autant que pour la paix. Avant la guerre, Steinlen avait fréquenté socialistes et anarchistes et même illustré la couverture d’un ouvrage de Kropotkine. Sa dénonciation de la misère quotidienne du peuple dans Le Petit Sou ou des ravages de la guerre trouve sa suite logique dans une affiche qui ne peut que frapper un public familiarisé avec son style et ses prises de position.
Auteur : Alexandre SUMPF
Guerre à la guerre
18 domenica Gen 2015
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